Historique
Coutellerie
Histoire de la coutellerie à Gembloux
1 – Origines
Les historiens sont d’accord pour situer l’origine de la coutellerie à Gembloux vers le milieu du XVIIIème siècle. La ville était alors dirigée par l’abbé-comte Eugène Gérard dont l’abbatiat dura de 1739 à 1759. A Gembloux, depuis le milieu du XVIème siècle, le pouvoir était exercé par le prélat de l’abbaye bénédictine (fondée vers 940) et le bailli. L’abbé Eugène Gérard souhaitait développer l’artisanat local et avait déjà fait effectuer des recherches pour trouver des minerais dans les environs de la ville. On chercha en vain du quartz, du plomb, de la pyrite, de la houille. Quelques traces d’ardoises furent mises à jour mais cela ne donna pas lieu au développement escompté.
Deux idées sont avancées pour expliquer le développement de la coutellerie à Gembloux. L’abbé Gérard, voyant que ses recherches de développement sur base de découvertes dans le sous-sol gembloutois ne donnaient rien aurait proposé aux couteliers namurois de venir s’installer à Gembloux.
D’autres pensent que les couteliers namurois employaient déjà une main d’œuvre gembloutoise faite d’ouvriers agricoles. Ceux-ci descendaient régulièrement chercher du travail à Namur, revenaient à Gembloux avec le matériau de base et retournaient à Namur avec les commandes réalisées. Les couteliers namurois auraient préféré simplifier les démarches en venant, de leur propre initiative, à proximité de la main d’œuvre locale. Cela leur aurait également permis de bénéficier de conditions de travail plus intéressantes vu la franchise de certains impôts suite aux privilèges obtenus par l’abbaye.
En somme, les deux idées peuvent se compléter. Toujours est-il qu’en 1747, le « Rôle dressé pour l’établissement de l’impôt de capitation et de rations militaires » signale qu’il y a à Gembloux « huit maîtres couteliers dont certains emploient de nombreux ouvriers ».
Une tradition va cependant se perpétuer : le coutelier continuera à aller chercher les commandes chez un patron et ramènera chez lui la matière première pour effectuer le travail. Ce mode de travail posera de nombreux problèmes et est sans doute à l’origine des crises successives que connaîtra la coutellerie à Gembloux et finalement, de sa disparition.
2 – Le régime français En 1794. Gembloux fait désormais partie du département de Sambre et Meuse. La période française fit connaître à la coutellerie gembloutoise des hauts et des bas. Les statistiques du département de Sambre et Meuse signalent que la coutellerie occupait à Gembloux 150 personnes en 1790. Des documents attestent de la fondation en 1794 de la Manufacture de coutellerie Ernest Piérard-Lefebvre. En 1806, il y avait à Gembloux plus de trente coutelleries occupant environ 200 personnes. Et en 1814 est fondée la Fabrique de Coutellerie belge de L. Piérard aîné. 3 – La période hollandaise Après la défaite de Napoléon à Waterloo et le congrès de Vienne en 1815, notre région devient hollandaise. Ce qu’il faut retenir de cette période tient en deux points. Le 30 septembre 1825 un incendie détruisit 24 habitations de la ville ; certaines abritaient des couteliers dont le matériel fut entièrement détruit. La situation économique générale n’était pas brillante et le secteur de la coutellerie s’en ressentit. Beaucoup de petites coutelleries fermèrent leurs portes, les artisans et ouvriers se mirent au service de patrons qui les exploitaient. |
4 – Le XIXème siècle dans la Belgique indépendante
Avec l’indépendance de la Belgique, la coutellerie commença à se
développer différemment. Les petits artisans continuèrent à travailler comme
avant mais on vit apparaître de petites entreprises qui se développèrent tant
bien que mal.
Le 18 octobre 1849, un nouvel incendie ravagea quatorze maisons de
la rue de la Vôte. Une fois de plus de nombreux couteliers furent victimes de
ce sinistre (on cite les noms de Albert, Chantraine, Debelle, Depireux,
Gourdin, Henry, Legros, Marloie et Winand).
Pour améliorer la situation du secteur, le gouverneur de la
province, relayant un avis du Ministre des industries, suggéra en 1865 la
création d’une école de coutellerie. Cette proposition ne fut pas suivie par
les autorités gembloutoises de l’époque.
La coutellerie à Gembloux présente dans la deuxième moitié du 19ème
siècle un visage particulier. Les matières premières manquent en Belgique et
doivent venir de l’étranger, de là même où se trouvent les concurrents :
de France où la concurrence de Thiers existe de longue date, d’Allemagne avec Solingen
et d’Angleterre avec Sheffield. Pour lutter contre la concurrence étrangère, on
baissa le prix de la main d’œuvre créant pour les ouvriers une situation très
précaire.
Mais, par ailleurs, les entreprises existantes semblent connaître
une croissance certaine et de nouvelles entreprises voient le jour. Ainsi, les
couteliers Baudoin et Dethier ont envoyé leurs produits aux Expositions de
Paris de 1867 et 1878 et, en 1896, apparaissent les Etablissements
Legros-Petit, fabrique de coutellerie forgée à la main.
Le « Recensement général des industries et des métiers »
de 1896 donne une idée de la diversité de l’organisation du travail des
couteliers. On y mentionne comme « fabricants de couteaux » à
Gembloux une entreprise occupant en tout 30 personnes ; comme
« fabricants de couteaux faisant fabriquer à domicile », onze
fabricants de ce type à Gembloux et, comme « couteliers travaillant à
domicile pour le compte de fabricants », toujours à Gembloux, 103
entreprises occupant en tout 158 personnes.
La situation des ouvriers-couteliers reste malgré tout difficile et
ceux-ci, plutôt que de continuer à aller chercher du travail chez des patrons,
choisissent souvent de travailler ailleurs dès que possible. Ainsi, en période
de moisson, ils désertent les coutelleries préférant gagner davantage en
travaillant pour les fermiers (ceux-ci leur donnaient aussi une partie des
récoltes : légumes, fruits, farine …); d’autres, au moment de la récolte
des betteraves, travaillent pour la sucrerie fondée en 1854 par Maximilien Le
Docte; d’autres se font engager à la fonderie Cassart, fabriquant des articles
de chauffage et de quincaillerie; d’autres vont travailler chez Alfred Mélotte
qui a fondé en 1891 sa célèbre fabrique de charrues; d’autres enfin se font
engager sur les chantiers du chemin de fer (en 1855 est mise en service la
ligne Gembloux - Rhisnes qui ira jusqu’à Namur en 1856 ; en 1865 entre en
circulation la ligne Ligny – Sauvenière et en 1877, la ligne Gembloux – Jemeppe
sur Sambre).
5 – Le XXème siècle.
Au début du vingtième siècle, la situation n’est donc pas brillante pour les couteliers dont le nombre est en diminution. Ainsi, si certains industriels « tels que les Simal, les Legros, les Piérard, donnèrent à la coutellerie une nouvelle impulsion », il fallut constater que « de toutes ces innovations, il résulta un besoin de main d’œuvre comblé par la venue à Gembloux de nombreux immigrants » (Toussaint, page 541).
L’évolution de la coutellerie au cours du vingtième siècle sera faite de sursauts, de spécialisations, de réorientations menant à la disparition des derniers couteliers à la fin du siècle.
Avec la modernisation et la division du travail, l’artisan travaillant seul chez lui est petit à petit remplacé par l’ouvrier spécialisé à sa machine en usine. Parallèlement, les entreprises se spécialisent également. La plus connue est la Manufacture belge de Gembloux qui, tout en continuant à fabriquer des couteaux, se spécialisera dans la production d’instruments chirurgicaux et de matériel médical. La première fabrique de couverts de Gembloux est créée en 1909 par Léon Piérard-Laduron . L’usine « Le Paon » se spécialise dans la fabrication de machettes. La société « Forge et coutellerie Paul Dubois » est fondée en 1920 et se spécialise dans la forge à chaud des lames d’orfèvrerie et des couteaux monoblocs. Les établissements de coutellerie Jadot (anciennement coutellerie Baudoin-Dethier) produisent en plus de la coutellerie proprement dite marquée des trois clefs (le blason de Gembloux), des outils relevant de la taillanderie (outils pour peintres, maçons, jardiniers). La coutellerie Legros-Petit se limite à la fabrication d’articles professionnels destinés à la boucherie, à la vénerie, à la poissonnerie et à l’hôtellerie. Désiré Libert, Joseph Depireux et bien d’autres contribuent par leur savoir-faire au développement du travail de coutellerie. C’est sans doute en raison de ce développement que Gembloux devint officiellement, en 1933, par la marque du cachet de la poste, « Capitale de la coutellerie ».
Alors, pourquoi toutes ces entreprises ont aujourd’hui
disparu ?
Avec le recul, il semble que plusieurs facteurs importants aient
joué.
Premièrement, la concurrence étrangère. Depuis l’indépendance de la
Belgique, les couteliers se sont plaints du manque de protectionnisme pour les
produits belges. Le manque de réglementation concernant les marques des
produits a fait que le marché du couteau fut d’abord inondé par les produits
français puis progressivement pas les produits allemands et, à partir des
années 1960 par la production venant principalement d’Asie et d’Extrême Orient.
Deuxièmement, le manque de matière première. Les fabricants de
couteaux allaient s’approvisionner à l’étranger (Allemagne, France, Italie
principalement) parce que les usines belges produisaient un
acier inutilisable pour le travail de coutellerie.
Troisièmement : l’organisation même du travail de la
coutellerie et le manque d’entente entre les couteliers. La coutellerie était
essentiellement un travail familial. Les outils et ateliers se transmettaient
de père en fils ou, du moins, restaient dans la famille. Souvent l’atelier
était construit derrière la maison familiale ou dans une annexe attenante au
logis. Il était difficile d’imaginer de proposer une reprise de l’atelier sans
vendre la maison familiale ce qui était inimaginable pour la plupart des
couteliers. Et, lorsqu’aucun enfant ne voulait reprendre le flambeau, c’était
la cessation de l’activité.
Quatrièmement, le désintérêt des pouvoirs publics nationaux,
régionaux et locaux et l’absence d’aide à l’industrie coutelière. Les autorités
ne prirent pas de mesures pour protéger la coutellerie et aider les couteliers
dans leur production. Par deux fois, en 1865 et en 1943, les autorités locales
refusèrent l’idée d’installer à Gembloux une école de coutellerie. Or, ce type
d’établissement aurait assuré une formation à des jeunes capables de prendre la
relève et, qui sait, introduire de nouvelles idées.
La tradition est maintenue par la « Confrérie des Chevaliers de
la Coutellerie » créée en 1980 à l’occasion du 150ème
anniversaire de la Belgique.
Certaines activités sportives ou folkloriques donnent encore
l’occasion d’entendre parler de la « Cité des Couteliers » qui a
également été choisie par la « Belgian Knife Society » pour
l’organisation de ses « Journées de la coutellerie ».
En 2018, il reste à Gembloux : l’atelier Depireux dans la Grand
Rue (vente et réparation) et, dans le zoning industriel, l’entreprise Eternum
(fabrication de couverts) et l’entreprise Sibel (fabrication d’instruments chirurgicaux).
La coutellerie à Gembloux
vue par Pierre NEDERLANDT,
un reportage "On s'invite" de Canal Zoom :
La coutellerie en Belgique
du même Pierre NEDERLANDT,
un reportage de Canal Zoom :